Sous le plafond des phrases, Yvon le Men, Editions Bruno Doucey

Le 12 janvier 2010, un séisme sans précédent dévastait Haïti. Or, c'est quelques jours plus tard que devait se dérouler à Port-au-prince, le festival Etonnants Voyageurs. Un festival bien sûr annulé, mais beaucoup de grands noms de la littérature Haïtienne (certains sont expatriés un peu partout dans le monde mais étaient revenus dans l'île pour le festival) étaient présents à Port-au-Prince au moment de la catastrophe. Impossible pour un écrivain de vivre un tel drame et de rester muet. Il y a eu ainsi depuis de très beaux témoignages, des récits de l'horreur mais aussi des phrases pour tout simplement fêter la vie et parler de la nécessité de rester malgré tout debout.

Le poéte Yvon Le Men, devait lui aussi rejoindre ce festival. Sa valise resta donc ancrée dans sa Bretagne natale jusqu'à ce que le voyage soit de nouveau possible. Enfin, au bout de quelques temps il a pu rejoindre ses amis dans cette île si éprouvée depuis son indépendance en 1804. De son voyage, il a ramené un très beau recueil de poèmes, un hommage en quelque sorte pour cette nation qui a toujours compté de grands et talentueux écrivains...

Comme je vous aime bien (sacrés petits veinards !) et qu'il est impossible de bien parler de "poésie sans poésie", je vous laisse avec ce magnifique petit bout de poéme qui achève ce recueil tout en délicatesse, tendresse et sensibilité...

mais la vie
d'abord
avant la mort

qu'ici
dans mon pays
mon petit pays

on se donne

plus qu'ailleurs

à cause
des causes et des effets
à cause des grands mots
que sont
la solitude
l'alcool
Dieu
la lumière
le manque de Dieu et de lumière

disent les uns
et qui causent de grands maux

à cause des longs mois
qu'on dit noirs
et qu'on vit dans le noir
de son coeur

précisent les autres

dans mon pays
où nous avons ce qui manque
en Haïti

de belles routes
qui vont des uns
chez les autres

de solitude en solitude
qui formeraient un archipel

si nous avions
ce qu'ils ont là-bas
en Haïti.

Pas de suicide dans l'île
depuis longtemps
pas de mort qu'on se donne

mais la vie qui va
à l'école
malgré tout

la vie qui pose des questions
à la vie
en passant par les grands mots

que sont
la patrie
Dieu
l'amour
la poésie

et auxquelles j'ai tenté de répondre
par un murmure...

aux élèves de l'école L'excellence
ce matin-là

un mot
encore
très grand

plus gros que le ventre ?
plus grand que les yeux ?

Port-au-Prince, 12 janvier 2010

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