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Les petits papiers de Stéphanie

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27 mai 2015

Et si nous apprenions à voir un peu plus la "fraîche beauté du monde" ?

Comme tout bon libraire qui se respecte, je dois faire face à des douleurs dorsales chroniques. Pour les atténuer mon kiné me conseille de faire quotidiennement (!) des exercices de musculation. Régulièrement (!) je me retrouve donc allongée sur mon tapis de gym juste en dessous du velux de ma chambre, prête au combat. Et là j'avoue (je peux le dire sans crainte, mon kiné ne lisant pas mon blog), que souvent mon attention dérive et que je me retrouve simplement allongée là, en train de regarder les nuages passer derrière la vitre. C'est fascinant un nuage. Fascinant et apaisant. C'est mon moment à moi, mon moment de beauté "non fabriquée". Ces nuages sont pour moi la "fraîche beauté du monde" selon la si jolie expression de Matisse...

texier_jpegJ'ai découvert cette phrase du peintre en lisant le livre magnifique de Richard Texier, Nager. Ce livre est un concentré de beauté et de poésie. Richard Texier n'est pas vraiment connu du grand public (en tout cas pas de moi avant cette lecture), mais c'est un "peintre - sculpteur", talentueux et original, connu mondialement. Grâce à cet outil merveilleux qu'est le net, en quelques clics vous aurez vite fait de le découvrir..

Avec Nager, il nous livre les moments forts de son "apprentissage de la beauté", son "socle artistique" en quelque sorte. Notamment, il y a des passages merveilleux sur son enfance dans les marais Charantais. Dans cet endroit ô combien magique pour un petit garçon, il s'est éveillé à la beauté de la nature. Un accident banal; un bidon de lait qui tombe à l'eau et le lait qui se transforme alors en " petite Voie lactée" autour du bateau, lui fait prendre conscience qu'il peut modifier sa perception du réel... D'autres souvenirs, d'autres sensations jamais oubliées ressurgissent aussi au cours de ce récit. Richard Texier nous livre avec générosité, poésie, talent et humilité sa vision de la beauté.

J'adore les livres qui nous invitent à la rêverie. Ils ouvrent toutes sortes d'horizons. A nous de choisir la direction... Quelques passages sur l'art sont un peu ardus (en tout cas pour quelqu'un comme moi qui se contente de "percevoir" de manière brute et qui fuit toute tentative de conceptualisation), mais certaines pages sont tellement belles et tellement généreuses en joie et en amour de la vie, que ce livre en devient rare et (ô combien !) utile.

Je finirais ce "petit papier" en revenant à mes "chers nuages", avec le poème l'étranger de Baudelaire, chanté par Léo, immortel interprète des plus grands poètes !

Léo Ferré - l'étranger (en public)

 

 

 

 

 

 

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3 mai 2015

Kim Leine, peut-être pas "prophète" mais sûrement "génie littéraire" !

Alors que certains romans se dévorent d'une traite et de manière linéaire, d'autres sont plus "ombrageux" et ne se laissent pas dépouiller de tous leurs atours aussi facilement. Ils se méritent en somme ! Bien sûr il faut avoir du temps devant soi pour s'y plonger avec plaisir, mais que diable, un peu d'effort pour au bout du compte un tel bonheur !

Les prophètes du fjord de l'Eternité est donc un de ces romans remplis de tours et de détours et où le lecteur se perd avec délice et n'a au final qu'une envie, ne jamais retrouver la sortie ! L'histoire se passe entre 1782 et 1815, Morten Pedersen Falk est animé d'un esprit scientifique, bien plus d'ailleurs que par la foi. Cependant son père le veut pasteur et en "bon fils" il étudie donc la théologie à Copenhague. Repéré par l'évêque du Groenland, il accepte un poste de missionnaire à Sukkertoppen, sur la côte ouest de la colonie Danoise. Morten aime se répéter une phrase de Rousseau : "L'homme est né libre et partout il est dans les fers !". Ce départ vers l'inconnu est un vrai pari pour lui et il espère bien trouver une forme de liberté dans cette nouvelle vie dangereuse.

leine_jpegMais bien vite la réalité le rattrape. Trois mots reviennent pour décrire la colonie Danoise : alcool, violence, et sexe. Et que dire de l'exemple des missionnaires en place qui copulent à qui mieux mieux avec leurs jeunes catéchuménes ?!   Droit dans ses bottes, Morten écrit des rapports pour dénoncer les abus. Mais arrivera t-il lui même à échapper à cette forme de luxure ambiante et à laquelle aucun colon ne semble échapper ? Morten n'en doute pas un seul instant. Très bien, mais avouons que le lecteur quant à lui est plus sceptique. Notre pasteur n'a pas toujours été d'une rigueur morale inflexible pendant ses années d'études théologiques à Copenhague... Sa chair est faible, nous le savons...

Bien plus, Kim Leine brouille un peu les cartes. En effet, au moment où Morten accoste au Groenland, nous basculons 5 ans plus tard et nous comprenons qu'il attend avec impatience un bateau qui doit amener son remplaçant, puisqu'il a démissionné. Visiblement il n'a pas non plus la conscience tranquille. Que s'est-il donc passé pendant ces années ? Inutile de vous dire que sur ce sujet je resterai muette comme une tombe (non mais !), mais je ne peux m'empêcher de vous mettre en garde contre les coups tordus de Kim Leine qui adore visiblement entraîner ses lecteurs sur de fausses pistes ! Du très (très très) grand art en somme...

Passez votre chemin si vous recherchez simplement un livre gai et amusant (pas de panique j'ai ça aussi en stock, le prochain "petit papier" sera pour vous !). Les Prophètes est un roman sombre, dur, et où la violence des hommes rivalise sans cesse avec la nature impitoyable du Groenland. C'est un livre incroyable qui vous laisse troublé et "scotché", un de ces livres qui marquent et qui restent ensuite bien au chaud dans votre bibliothéque en toute première place...

 

27 avril 2015

Toute la beauté du kaléidoscope Perkins...

J'aimerais vous parler aujourd'hui du roman d'Emily Perkins, Les Forrest. Voyons d'abord ce que l'éditeur en dit : 

forrest_jpeg"Il y a Lee, la mère, et Frank, le père. Dorothy et ses sœurs, Eve et Ruth, leur frère Michael. Et Daniel, le fils quasi adoptif, au passé tumultueux. Dans cette famille, excentrique et sans le sou, chacun essaye de se construire en dépit des failles des autres.
Pour Dorothy, le salut, ce sera Daniel. Un amour secret, initié dans l’enfance à l’abri des hautes herbes de la communauté hippie qui les accueillera un temps. Mais quelques années plus tard, Dorothy s’est mariée avec un autre et c’est désormais Eve qui partage le lit de Daniel. Daniel, personnage magnétique, omniprésent mais disparaissant sans cesse, sorte de Heathcliff au charme envoûtant." J.C Lattès


Une énième saga familiale ? Eh bien non, justement ! Ce roman tire son originalité et sa force de sa construction particulière et du style "Perkins". Un style qui rappelle un peu, comme l'indique l'éditeur d'ailleurs dans sa quatrième de couverture, celui de Virginia Woolf. J'avoue avoir eu envie de lire ce roman essentiellement pour cette comparaison quelque peu audacieuse. J'étais malgré tout prudente, les textes alléchants des "quatriémes" étant parfois un peu trompeurs sur la marchandise. Et, oh joie, je n'ai pas été déçue ! Comment ne pas faire le rapprochement en effet avec le roman de V. Woolf, Les années ?

Dans ces deux romans, nous avançons par petits sauts dans l'histoire avec une succession de scènes où les détails révèlent les grands changements dans la vie des personnages. Tout comme V. Woolf, E. Perkins utilise l'art de l'elipse pour suggérer en finesse l'évolution de ses héros. C'est un peu comme avec un kaléidoscope : le lecteur assimile une suite rapide d'impressions, de sensations variées et cet ensemble de détails donne une vision complète des choses.

Bref, un traitement romanesque peu commun. Il faut une grande maîtrise pour se permettre ainsi de "jouer" avec ses personnages et Emily Perkins posséde toutes les qualités pour, ça c'est indiscutable !

 

1 avril 2015

Le monde est bien dur pour toutes les Daroussia la Douce...

Daroussia la Douce est un très beau roman. Il nous rappelle combien l'Histoire et le destin peuvent se montrer cruels et broyer des familles que tout destinait pourtant au bonheur. Cette histoire se passe à Tcheremochné, une région de l'Ukraine qui a été plus d'une fois occupée, le pouvoir passant (et repassant même parfois) entre les mains des Polonais, des  Roumains, des Allemands, ou encore des Soviétiques.

daroussia_jpegA Tcheremochné donc, vit Daroussia la Douce. Daroussia ne parle pas. Oh, elle n'est pas muette de naissance mais depuis de nombreuses années les mots ne sortent plus de sa bouche. Pourquoi ? Patience amis lecteurs, vous le saurez en temps voulu ! Les mauvaises langues la pensent idiote, mais les fines mouches savent bien qu'elle ne l'est pas. Simplement, elle se tait. Elle aime la nature, met des rubans aux branches des arbres et se rend souvent sur la tombe de son papa.

Un malheur la frappe toutefois. La simple mention du mot "sucrerie", lui provoque des migraines insupportables et qui la laissent comme morte plusieurs jours durant. Pourquoi ? Patience encore une fois amis lecteurs, cela aussi vous l'apprendrez en temps voulu...

Un jour, un homme, Ivan Tsvytckok, s'installe chez Daroussia la Douce. C'est une sorte de vagabond (un simple d'esprit lui aussi disent les commères du village). Il joue divinement de la guimbarde et sa présence rassure Daroussia. Elle échappe même lorsqu'il est là à ses affreuses migraines. Mais le destin n'est que rarement prêt à "lâcher" ses victimes et ce sera donc une forme de bonheur certes, mais jusqu'au jour où.... Décidément amis lecteurs, il faudra que vous lisiez Daroussia la Douce pour tout savoir !

Ce roman est une vraie merveille ! Maria Matios a une écriture poétique, d'une puissance incroyable. Elle déroule tranquillement le fil de son histoire comme dans une grande tragédie antique. Tout cela est sombre bien sûr, poignant et l'uppercut à l'estomac vous fera mal longtemps. Mais comme "lire c'est avant tout ressentir", lancez-vous et découvrez sans tarder Maria Matios. La lecture de ce grand écrivain ukrainien sera j'en suis sûre une très belle découverte pour tous les amoureux de la littérature....

Rq : J'avoue avoir été très intriguée par l'instrument fétiche d'Ivan, la fameuse guimbarde. Je vous laisse donc une petite vidéo de démonstration pour tous les petits curieux qui voudront en savoir plus....

Solo de guimbarde -Yann Falquet - GENTICORUM

22 mars 2015

les femmes fatales finissent mal (en général) !

Bizarrement lorsque je songe à mes derniers coups de coeur depuis la rentrée de janvier, je me rends compte que pour la plupart ce sont des portraits de femmes atypiques, célèbres ou anonymes. Dans la continuité du 8 mars (Journée de la Femme), voilà donc une petite "sélection hommage" à nous autres les Femmes !

Tout d'abord, je voudrais parler du merveilleux roman de Dominique de Saint Pern, Baronne Blixen. Cette biographie romancée retrace le parcoursadichie_jpeg de Karen Blixen, mystérieuse et envoûtante, tout comme son Afrique tant aimée. Ses multiples vies entre le kenya et le Danemark  (que ce soit comme auteur reconnu et pressenti pour le Nobel, ou comme gérante de sa plantation de café) ainsi que ses liaisons amoureuses passionnées, auraient épuisé n'importe qui de "normal". Mais Karen Blixen appartient au groupe très sélect des forces de la nature. Je parle de ces rares personnes que rien ne semble pouvoir arrêter. Invivables et tyranniques mais avec une force vitale impitoyablement attractive pour leur entourage. Il est bien moins dangereux de les côtoyer sur papier glacé !

blixen_jpeg

Si vous êtes adeptes des émissions littéraires à la télévision, vous avez sans doute pu voir la belle Adichie présenter son livre Americanah un peu partout. Impossible de rester de marbre en lisant les aventures de Ifemelu, une jeune Nigériane partie faire ses études aux Etats-Unis. En arrivant sur le territoire Américain, elle prend conscience pour la première fois de son statut de jeune femme "noire", qui plus est, "noire d'origine non américaine". Le ton malicieux et vif d'Adichie bouscule les idées reçues et remet bien des choses en place. Elle démontre une fois de plus que quelles que soient les avancées, le combat pour l'égalité entre les différentes couleurs de peau continue...

 

Le roman de Léonor de Recondo nous parle aussi d'inégalités (mais pour le coup sociales) et de la difficulté (impossibilité ?) de dynamiter les barrières et les convenances au début du XXème siècle. Son histoire se passe dans une maison bourgeoise au fin fond du Cher en 1908. Derrière les murs de cette maison cossue se joue un drame. Monsieur viole Céleste, la petite bonne, quand ça lui chante. Lorsque celle-ci se retrouve enceinte, la solution semble toute trouvée. Puisque Madame (Victoire) n'arrive pas à avoir d'enfants, il suffit de faire passer le bébé de la bonne pour l'héritier tant attendu. Ce sont des choses qui arrivent n'est ce pas ? Et puis tant pis pour les éventuels sentiments de Céleste. Qu'elle soit heureuse déjà de ne pas être renvoyée. Oui mais..

. Si Céleste et Victoire ont toutes deux une place dans la société très différente, on voit bien en grattant un peu qu'elles se ressemblent aussi étrangement. Toutes deux n'ont jamais connu la tendresse (namours_jpege parlons même pas du plaisir physique). Élevées dans un seul but (être "placée" comme bonne pour l'une, être "donnée" en mariage au meilleur parti possible pour l'autre), personne ne s'est jamais appesanti sur leurs désirs et leur besoin d'amour. L'arrivée d'un bébé sera donc l'occasion pour ces deux femmes de découvrir tout à la fois : la tendresse, le plaisir, et le fantastique bonheur d'aimer et d'être aimer.

 

 Avec la sublime Frida Khalo, voilà encore une héroïne comme je les aime et qui a su pulvériser toutes les convenances. Elle nous ensorcelle encore et toujours, cette fois sous la belle plume de Gérard de Cortanze. Je connaissais déjà l'histoire de cette peintre Mexicortanze_jpegcaine (notamment ses amours tumultueuses avec Diego Rivera), mais quel plaisir de la retrouver une nouvelle fois l'espace d'un livre! Malgré sa part d'ombre (les séquelles d'un grave accident l'ont fait souffrir toute sa vie), elle régnait sur tous, telle une princesse Aztèque. Trotsky, parmi tant d'autres (hommes ou femmes d'ailleurs) n'a pu résister à son attraction solaire.. Passionnant et documenté, ce roman est une vraie explosion de couleurs !!!

 

Enfin repassons à présent, à l'élégance des clichés en noir et blanc des années 50, pour rejoindre Billie Holiday devant un micro dans la petite salle sombre du Mars club, un club de jazz où elle a donné une série de concerts intimistes en novembre 1958.

broussard_jpegCertes la star est bouffie par l'alcool, dévastée par la drogue et les excès. Mais il suffit de quelques notes pour que la magie opère et qu'elle redevienne l'irremplaçable lady Day... Un livre incontournable pour tous ceux qui aiment le jazz et l'atmosphére enfumée si particulière des nuits parisiennes de la fin des années 50. Une époque où les noctambules s'appelaient Sagan, Bardot, Duke Ellington...

 Comme je ne pourrais vivre sans musique, je ne peux vous quitter sans vous mettre une petite bande son de la Lady chantant "strange fruit". Une chanson incroyablement riche en émotion. Ecoutez attentivement les paroles de cette "protest song" où les corps des Noirs lynchés sont comparés à des fruits pendant aux branches des arbres sudistes...Billie a chanté cette chanson dés 1939. Imaginez un peu le courage qu'il fallait pour "lancer" ce pavé dans l'Amérique des années 30...

Billie Holiday Strange Fruit 1939

 

 

 

 

 

 

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18 mars 2015

Que l'on se le dise : le Balzac du XXIème siècle sera une femme !

Fin XIXème, les coquettes parisiennes se lavaient les cheveux avec du pétrole pour les rendre plus brillants. Cet effet de mode anecdotique aura tout son poids lors de l'incendie qui ravagea en mai 1897 le Bazar de la Charité. Un événement historique hélas on ne peut plus vrai et qui sert de base à l'incroyable roman de Gaëlle Nohant, La Part des flammes.

nohantChaque année, pendant trois jours avait lieu une immense vente de charité. Les comptoirs des différentes boutiques étaient tenus par des vendeuses peu ordinaires. En effet pour l'occasion, la fine fleur de la noblesse française se prêtait au jeu et jouait à la marchande l'espace de quelques heures. Or, en 1897, le tout Paris fût endeuillé après qu'un terrible incendie se soit déclaré un jour de forte affluence. Il y eut plus de 120 morts, beaucoup de nobles bien sûr (notamment la duchesse d'Alençon, la soeur de Sissi), mais aussi beaucoup de parisiennes anonymes attirées par la renommée de ces vendeuses aux noms prestigieux.

Voilà le cadre de cette histoire... Un cadre riche en drames et propice aux nombreux rebondissements, du pain béni donc pour un auteur mais encore faut-il qu'il ait du talent. Et cela tombe bien car Gaëlle Nohant en a (et en a même beaucoup !).

La Part des flammes fait penser à la Comédie humaine et à sa galerie de personnages inoubliables. Mais ce n'est pas tout ! Tout comme avec Dumas, notre coeur palpite et nous attendons fébrilement le prochain rebondissement (qui n'est d'ailleurs jamais long à arriver !). Gaëlle Nohant nous plonge dans un monde étrange et insolite, où bien que la France soit une République, le prestige du nom et les convenances d'un autre temps tiennent toujours le haut du pavé.

Impossible de ne pas aimer ce roman, facile à lire, et si élégant avec son style classique très XIXème. En tant que libraire, j'ai assez régulièrement des coups de coeur (Dieu merci !),  mais il est très rare que je puisse les conseiller largement (trop littéraire, sujet trop particulier etc...). Or pour le coup, je n'imagine pas qu'une personne aimant lire des romans et cherchant une lecture captivante puisse être déçue par La Part des Flammes.

Vous l'aurez donc compris, j'ai aimé ce roman ! Que dire donc de plus si ce n'est que je vous le conseille, suggère, préconise, recommande, etc..

 

 

16 novembre 2014

J'ai été complétement 'vampirisée' par Karpathia !

Grrrr ! Je crois bien que je déteste le mois de novembre. Allez, je ne résiste pas au plaisir de citer Modiano, notre tout nouveau Prix Nobel de Littérature : "En novembre (...) les journées sont souvent pluvieuses. La nuit tombe tôt et cela vaut mieux : elle efface la grisaille et la monotonie de ces jours de pluie où l'on se demande s'il fait vraiment jour et si l'on ne traverse pas un état intermédiaire, une sorte d'éclipse morne, qui se prolonge jusqu'à la fin de l'après-midi. Alors, les lampadaires, les vitrines, les cafés s'allument, l'air du soir est plus vif, le contour des choses plus net, il y a des embouteillages aux carrefours, les gens se pressent dans les rues." C'est bien dit non ? Ah, il est fort ce Patriiiiick !

En parlant de "pointure", je viens de découvrir un premier roman assez bluffant, karpathia de Mathias Menegoz (qui était d'ailleurs sur la première liste du Goncourt). Bon il n'a pas décroché, au final, le trophée mais honnêtement, pour avoir lu pratiquement toute la liste des sélectionnés, il l'aurait amplement mérité.

cvt_Karpathia_2702Menegoz nous plonge dans la Transylvanie de 1833 et tel un Dumas au meilleur de sa forme, il y multiplie les aventures et autres rebondissements. Impossible de lâcher ce roman avant la fin !

Le capitaine Hongrois Alexander, quitte l'armée impériale pour convoler avec la jeune et belle baronne Cara Von Amprecht. Les jeunes mariés partent vivre alors aux confins de l'Empire, dans le domaine familial d'Alexander. Si le début fait un peu penser à Sissi par son côté Viennois et romantique, le récit tombe très vite du coté "obscure de la force". Nos deux jeunes amoureux arrivent en effet dans un pays pas très accueillant où cinquante ans auparavant une révolte de serfs du domaine avait d'ailleurs abouti au massacre de l'aïeul d'Alexander.

Or, le pays est toujours la même poudrière avec un système féodal injuste qui repose sur l'exploitation du plus grand nombre par une minorité de privilégiés. Une situation plutôt courante me direz-vous mais si on ajoute à cela une mosaïque de nationalités, de langues et de religions, et que l'on pimente un peu le tout avec des vieilles légendes de Comte cruel et sanguinaire, alors là, on arrive sans peine au point de non retour...

J'ai eu vraiment un plaisir fou à lire ce livre si riche et si généreux. Il titille l'imaginaire mais charme aussi par son style impeccable et élégant. Très différent de la production française contemporaine, Karpathia est vraiment de taille à réconcilier les plus nostalgiques des grands romans du XIXème siècle avec la littérature contemporaine.

 

20 octobre 2014

On a tous en nous un peu de Rachel Waring....

 

rachel_jpegLa littérature peut être parfois un redoutable miroir déformant... Ainsi, prenons cet inoffensif roman (du moins la couverture très à l'anglo-saxonne pourrait le laisser penser) publié par les éditions Le Tripode : La vie rêvée de Rachel Waring... Ce livre touche et interpelle tant son histoire pourrait être notre histoire (ou celle d'une/un proche).

Disons-le tout net, l'intrigue peut se résumer en une phrase : le lecteur découvre les pensées de Rachel, une femme de 47 ans qui sombre peu à peu dans la folie. Le tour de force tient dans le fait que tout est vu à travers les yeux de Rachel et que sa vision déformée des choses et du monde en général, accentuée au fil des pages, nous fait parfaitement comprendre ce qu'elle vit et la manière dont elle le vit.

Le troublant dans l'histoire est que cette fameuse Rachel, en plus d'être diablement sympathique, nous ressemble étrangement. C'est une version de tout un chacun, avec ses fantasmes, ses envies et ses peurs, mais tout cela multiplié bien sûr. En somme ce roman nous rappelle avec acuité à quel point la frontière, qui sépare la sensibilité et la perméabilité au monde extérieur de la folie et d'une vision déformée de notre rapport aux autres, reste très floue et fragile.

Notre fameuse Rachel donc, hérite à 47 ans de sa tante d'une grande maison à Bristol. L'occasion rêvée pour elle de quitter son ennuyeuse vie Londonienne pour enfin vivre pleinement comme elle l'a toujours rêvé. Et des rêves, notre Rachel en a à foison ! Obsédée par les vieilles chansonnettes anglaises qui parlent du Bonheur et de l'Amour, elle vit sa vie comme si elle était l'héroïne d'une comédie musicale et perd pied de plus en plus avec les réalités de la vie...Inexorablement, nous voyons la fin tragique arriver. Nous tremblons pour elle et nous aimerions tellement la protéger d'elle-même ! Impossible bien sûr de la sauver, son personnage de papier ne peut que nous troubler et nous hanter par sa vulnérabilité.

Voilà, je ne vous en dis pas plus. A vous de voir si vous pouvez lire ce livre. Je pense qu'il peut mettre certaines personnes vraiment mal à l'aise. Tout simplement, il faut avoir accepté cette part de douce folie que nous avons tous en nous... Lorsque l'on accepte l'idée d'une chose, elle fait beaucoup moins peur, non ?

28 septembre 2014

Emouvante Charlotte Salomon...

Certains lecteurs reprochent aux auteurs français contemporains d'être trop centrés sur eux-mêmes, de ne parler que de leurs tourments, et d'oublier ainsi le vaste monde. Personnellement, j'aime "tomber dans l'univers" d'un écrivain lorsque je lis un livre. Peu importe alors s'il ne parle que de lui ; "l'humain" de toute manière est bien suffisamment riche pour occuper tout l'espace.

Toutefois, il faut noter pour cette rentrée littéraire une nouvelle tendance très marquante. De nombreux écrivains se sont tournés vers la "biographie romancée" et nous parlent de ceux ou de celles qui les obsèdent plutôt que d'eux-mêmes directement (les petits malins !). Notons ainsi comme "couple littéraire", Laurence Tardieu et la photographe Diane Arbus, Deville et Trotsky, Oona O'Neil et Beigbeder, Lydie Salvayre et Bernanos, Mary Shelley et Judith Brouste, Vuillard et Buffalo Bill etc....

Si plusieurs de ces romans sont très bons, je voudrais vous parler aujourd'hui de celui de Foenkinos sur la peintre Charlotte Salomon, morte à 26 ans à Auschwitz. Avant de lire ce livre, je ne connaissais absolument pas cette jeune femme. Son histoire, comme tant d'autres, est profondément tragique et ne peut laisser personne indifférent.

foenkinos_jpegNée à Berlin en 1917, elle grandit dans une famille juive plutôt aisée. Hélas, la famille du côté maternel côtoie la folie depuis plusieurs générations et le suicide de la maman de Charlotte n'est que la suite de nombreuses autres morts tragiques. Son père, un médecin brillant, se remarie quelques années plus tard avec une cantatrice célèbre. La petite Charlotte a un don pour le dessin et réussit par miracle (et malgré des lois raciales de plus en plus sévères) à intégrer les beaux-arts de Berlin.

En 1938 elle remporte même le premier prix d'un important concours. Moment de joie pour elle mais aussi de douleur puisqu' en tant que "juive" elle ne peut pas aller chercher son prix. Il faut trouver un subterfuge et c'est une de ses camarades, bien "aryenne" elle, qui montera sur l'estrade recevoir les applaudissements et les félicitations...

Et puis c'est la fuite. Elle se réfugie alors à Nice où elle peindra l'oeuvre de sa vie, un recueil de plus de 700 gouaches où elle fait le récit de sa (trop) courte existence.

David Foenkinos a découvert Charlotte un peu par hasard en visitant, sur les conseils d'une amie, une exposition de ses oeuvre. Ce fût un choc : «Tout ce qui me troublait depuis des années. [...] Les écrivains allemands. La musique et la fantaisie. Le désespoir et la folie. Tout était là. Dans un éclat de couleurs.»

Complètement envoûté par ce personnage hors norme, il a accumulé au fil des années tous les éléments qu'il pouvait retrouver sur cette courte et émouvante vie de 26 ans. Bien évidemment il a dû quelque peu "broder", mélangeant les éléments connus et reconnus de la vie de Charlotte avec des moments de fiction pure. Il a ainsi recréé "sa" Charlotte, telle qu'il l'idéalise, choisissant artistiquement de la décrire par petites touches sous la forme d'un long poème sans rimes...

charlotte_jpegJ'ai été très touchée par ce livre. Il est vrai que le mélange fiction/réalité est toujours délicat, voire dérangeant. A-t-on le droit de s'approprier ainsi une personne, de la faire revivre avec nos propres sentiments, notre "double" devenant alors presque plus réel que "l'original" même ? La question reste ouverte mais, en attendant, grâce à ce livre, j'ai eu envie de connaître un peu plus la peinture de Charlotte Salomon et, pour une artiste, perdurer après sa mort à travers son oeuvre n'est-ce pas là l'essentiel ?

 

24 septembre 2014

A la conquête de l'Ouest...

Si j'ai une mémoire digne d'un poisson rouge moyen, certaines choses, ou personnes, m'ont durablement marquée pour une raison ou une autre. Ainsi je me souviens très bien des cours de Sciences Politiques suivis à la Fac en licence d'Histoire... Il faut dire que mon professeur valait largement son "pesant de cacahuètes".

Je serais bien incapable de donner son nom mais je me rappelle parfaitement ses provocations récurrentes (et qui étaient d'ailleurs à peu prés le seul intérêt de son cours). Visiblement son programme tenait en une ligne : faire réagir ces petits étudiants conformistes que nous étions à ses yeux. Notamment, il adorait faire des remarques à caractère sexiste, ce qui ne manquait pas d'enflammer un amphi majoritairement féminin. Une chose aussi lui tenait particulièrement à coeur : Dallas... Non, je ne parle pas de l'assassinat de JFK et de ses éventuelles retombées politiques, je vous parle bel et bien du grand feuilleton texan mythique : Dallas (ton univers impitoyaaable !). Il y voyait l'illustration parfaite de l'esprit pionnier américain et attendait avec impatience un étudiant ambitieux capable de s'emparer d'un tel sujet pour en faire une thèse...

Bien sûr nous gloussions comme les jeunes bêbêtes que nous étions alors. Or, après la lecture du magnifique livre de Philipp Meyer, le fils, je dois dire que si le coche n'était pas raté depuis longtemps, je m'y serais collée avec grand plaisir...

meyer_jpegDe quoi s'agit-il ? D'un roman fleuve de près de 700 pages et qui reprend l'histoire d'une grande famille américaine, les McCullough. Des années 1850 à nos jours, le lecteur suit trois membres de cette riche famille texane partie de rien. Le roman commence donc en plein far west, époque où les colons vivent sous la menace des raids Comanches (notez au passage quelques scènes un peu "raides" et non recommandées aux âmes sensibles...). Puis l'auteur traverse la guerre de Sécession et la révolution mexicaine, et achève 700 pages haletantes en rejoignant notre époque où le cours du pétrole règne en maître sur la destinée de tous.

Rien n'est édulcoré, l'idée étant que tout vainqueur bâtit son empire sur des exactions et des expropriations. Une idée s'appliquant d'ailleurs aux Américains, mais aussi aux Mexicains voire aux Indiens eux-mêmes... Pas d'évangélisme donc, juste un très beau roman qui se dévore et qui porte en lui la conviction que les fils paient toujours les fautes de leur père...

J'avoue avoir préféré (et de beaucoup) toute la partie qui parle plus particulièrement des Comanches (normal pour une fan de la BD Blueberry), mais d'une manière générale, Le fils, reste indubitablement "the" roman américain de la saison 2014-2015, incontournable donc pour les nombreux amateurs du genre...

 

 

Eddy Mitchell - Les tuniques bleues et les Indiens

 

 

 

 

 

 

 

 

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